Comment s’impliquer avec les participants dans la recherche de terrain

Traduction de How to engage with participants in field research, publié sur Scidev-net le 8 septembre 2014 sous licence Creative Commons

Auteur: Obidimma Ezezika, PDG de The African Center For Innovation and Leadership Development et  Chargé de Cours à The Dalla Lana School Of Public Health, University of Toronto.

Traduction bénévole : Samir Hachani, professeur, Université d’Alger 2 et membre du projet SOHA

Idées centrales :

Comment bâtir la confiance avec les communautés impliquées dans votre recherche ? Obidimma Ezezika partage ses conseils et expérience

  • Bâtir la confiance est le fondement crucial d’une recherche réussie sur le terrain.
  • La confiance découle autant de l’écoute et de la compréhension que de la transmission d’information
  • Une bonne communication suscite souvent des suggestions qui améliorent la recherche

Introduction

Vous êtes sur le point d’entamer un projet de recherche dans un pays en développement. Peut-être allez-vous mener un essai clinique, imaginer la meilleure manière de mettre en place un projet de développement ou demander à des paysans de tester des graines modifiées ou d’autres technologies.

La réussite de votre projet dépend largement de la manière dont vous communiquez avec les personnes participant à votre recherche. Par où allez-vous commencer ? Quelles compétences en communication sont nécessaires pour s’impliquer dans une communauté et bâtir la confiance ?

J’ai réfléchi à ces questions au fil des recherches que j’ai menées dans huit pays en développement. Dans cet article, je voudrais partager mes expériences pour vous aider à identifier les aspects essentiels de la communication efficace qui permettront à votre projet de recherche de voir le jour.

Viser en priorité la confiance

Votre but, en communiquant d’une manière efficace avec les communautés, est de bâtir une confiance mutuelle qui soutiendra votre projet de recherche, et qui rendra l’expérience aussi bénéfique que possible pour la communauté. Si vous avez besoin d’être convaincu(e) que la communication est importante pour votre recherche, réfléchissez à ce qui arrive quand elle ne fonctionne pas.

Dans le cadre d’un projet dans le nord du Nigéria, nous avons constaté que l’initiative de vaccination contre la polio piétinait parce que les inquiétudes de la population et des mythes sur l’immunisation avaient circulé sans jamais recevoir de réponse de la part des acteurs de la santé publique. Cette situation reflétait la méfiance des responsables de santé gouvernementaux envers la communauté et leur échec à communiquer avec les leaders religieux (1).

Au Cambodge, des chercheurs abandonnèrent des essais du Tenofovir, un médicament préventif du VIH, car leur projet, dès sa conception, n’avait pas su prendre en compte adéquatement les besoins sociaux et culturels de la population. Par exemple, il n’avait pas organisé de consultation ou de séance d’information et de dialogue pour les communautés ciblées (2).

Une implication efficace se produit quand la communication est bi-directionnelle et génère une confiance mutuelle entre la communauté et les chercheurs et chercheuses, si bien que ces derniers sont capables d’aborder toutes les préoccupations que la communauté pourrait avoir au sujet de la recherche.

Dans l’exemple nigérian, une fois les leaders religieux impliqués, et une fois apaisée la perception générale que l’immunisation était une manière secrète de contrôler la population, le programme de vaccination put continuer.

Le mois dernier un collègue et moi avons publié un papier dans lequel nous expliquons qu’une communication axée vers l’établissement de la confiance mutuelle est plus efficace qu’une simple présentation d’information ou démarche de sensibilisation qui sont souvent les stratégies caractéristiques de la communication en recherche (3)

Commencer dès le début du projet

Une manière de bâtir la confiance avec les communautés est de s’impliquer avec les participants dès que l’occasion se présente, sans attendre. Prenons l’exemple de The African Malaria Network Trust (AMANET), l’organisation pan-africaine non gouvernementale qui gère les essais cliniques du vaccin contre la malaria en Afrique. Elle entre en contact avec les  communautés avant de commencer les essais cliniques, afin d’avoir la possibilité de répondre aux éventuelles inquiétudes des personnes au sujet du design de la recherche.

AMANET commence par dialoguer avec les responsables gouvernementaux et les personnes qui sont considérées comme des parties prenantes importantes ou des leaders de la communauté. Son but est d’obtenir leur permission et leur adhésion au projet – parce que ces personnes peuvent soutenir ou, inversement, compromettre  un projet -, de les écouter et d’aborder leurs éventuelles inquiétudes, avant de rencontrer les communautés dans leur ensemble.

Par exemple, dans un cas, les chercheurs et chercheuses consultèrent en premier lieu des représentants du Ministère de la santé publique et de la Mairie. Ils rencontrèrent ensuite les chefs de village, les anciens et les membres de la communauté, toujours en présence des responsables gouvernementaux locaux. AMANET affirme que ce genre de pratique aide à établir une relation avec tous les membres de la communauté (4). Une communauté qui n’aurait pas de sentiment d’appartenance envers un projet pourrait ne pas y participer et même protester contre le projet, comme ce fut le cas pour les essais du Tenofovir au Cambodge.

Dans ce genre de réunion, demandez aux leaders du village de se présenter et demandez aux chercheurs et chercheuses d’expliquer l’étude proposée. Considérez de faire appel à des traducteurs pour communiquer aussi en langue locale.

Assurez-vous de réserver du temps aux membres de la communauté et aux chefs de village qui voudront poser des questions au sujet de l’étude proposée : de quelle manière seront sélectionnés les participants et participantes? Est-ce que la communauté aura quelque chose à gagner? Combien durera le projet?

Il est généralement important de se faire accompagner d’un ou de deux personnes représentant les bureaux gouvernementaux initialement consultés, car leur présence peut vous apporter plus de crédibilité avec la communauté.

Écouter et apprendre

La participation de la communauté peut améliorer le déroulement de votre recherche. Durant cinq ans, entre 2008 et 2013, avec des collègues du Sandra Rotman Centre du Canada,  j’ai entrepris l’évaluation du projet du Water Efficient Maize for Africa (WEMA -Maïs économe en eau pour l’Afrique), un consortium qui développe un maïs résistant à la sécheresse pour les petits  fermiers.

Le but de l’évaluation était d’identifier et d’aborder les problèmes éthiques, sociaux et culturels qui avaient pu ou pourraient surgir au cours de la recherche.

Au début, nous avons testé nos instruments d’audit social avec quelques personnes qui étaient des partie prenantes de WEMA. L’analyse de leurs propos nous a conduits à réviser nos instruments et à les tester de nouveau dans 26 entrevues avec participants et participantes du secteur agricole, y compris des fermiers au Kenya, au Mozambique, en Afrique du Sud et en Tanzanie.

L’écoute attentive de ces entrevues pilotes nous a conduits à faire d’autres changements dans la manière de mener nos entrevues(5). Nous avons fait chaque année 100 entrevues avec différents participants et participantes représentant cinq pays. Leurs réponses conduisirent à des changements dans le projet de recherche  WEMA. A titre d’exemple, après avoir entendu les fermiers qui voulaient plusieurs caractéristiques dans leurs graines, le projet a produit des variétés multi-caractéristiques.

Faites connaissance avec vos participants

Une fois vos participants et participantes sélectionnés, vous devrez faire leur connaissance. Cela ne veut pas dire les connaitre en tant qu’individus, mais connaitre assez leurs perceptions pour savoir comment communiquer avec eux et elles de la manière la plus efficace. Par exemple, vous devez savoir à quel point ils et elles comprennent le sujet que vous étudiez et quelles sont leurs attentes et vous devrez comprendre le contexte culturel et social dans lequel ils  et elles vivent.

En fait, il est important de chercher à comprendre de manière authentique la culture de la communauté. Poser des questions plutôt que faire des suppositions et écouter plutôt que prêcher, particulièrement quand on explore les peurs et les sentiments des personnes au sujet du projet de recherche. Si on permet à la peur et la désinformation de s’installer, il y a peu de chance que la communauté s’investisse dans la recherche.

La meilleure manière de connaitre vos participants est de passer du temps dans la communauté et de contacter les instances locales telles que les institutions de recherche situées dans les communautés où vous voulez effectuer votre recherche.

Durant le projet WEMA, par exemple, nous avons organisé des groupes de discussion pour recueillir les opinions des paysans sur le projet de recherche. Nous avons posé des questions aux membres de la communauté sur leurs inquiétudes éventuelles; ils nous ont alors parlé de leur souhait qu’existent de petites compagnies de graines vendant et distribuant de nouvelles variétés de maïs, notamment un maïs tolérant à la sécheresse, mais aussi aux insectes. Les chercheurs de WEMA s’efforcèrent de répondre à ce souhait dans l’année qui a suivi le projet.

Selon l’échelle de votre projet et la taille de la communauté où vous travaillez, vous pourriez vouloir formaliser vos relations avec les organisations locales et considérer qu’elles font partie du projet. Cependant, il est important de vous assurer que l’organisation avec laquelle vous êtes en lien, quelle qu’elle soit, ait une bonne réputation dans la communauté et de bons antécédents. De plus, embaucher la main d’œuvre locale est important pour vous aider à vraiment comprendre la communauté et à diriger votre projet efficacement.

Quand je vais dans un village avec lequel je ne suis pas familier, je m’assure d’avoir un chauffeur ou un guide de voyage qui parle la langue locale, ainsi qu’un traducteur local. Parfois, je contacte d’autres organisations partenaires qui me présentent une personne de la communauté qui peut m’aider à comprendre le contexte local, à rencontrer les chefs de village et les membres de la communauté, ainsi qu’à m’y retrouver dans les bureaux gouvernementaux. Il est préférable de mettre en place cette structure avant de commencer la recherche.

Utiliser des méthodes de communication adéquates

La langue que vous utilisez est cruciale, de même que le canal que vous utilisez pour faire parvenir l’information. Par exemple dans un pays où plusieurs langues sont parlées, une personne peut comprendre la langue officielle, mais être beaucoup plus à l’aise et mieux comprendre la recherche si la discussion est en langue locale. Et si les personnes ne savent pas lire, l’information imprimée ne leur servira pas.

Adaptez votre stratégie de communication à chaque projet. Vous pourriez découvrir qu’il vous faudra transmettre l’information dans plus d’une langue ou la changer selon les participants (c’est pour cela qu’il est important de les connaitre).

Nous avons fait cet apprentissage dans le cadre d’un projet d’implication des paysans de plusieurs communautés du Burkina Faso dans les discussions autour du coton Bt génétiquement modifié. Nous étudions le rôle de la confiance dans l’efficacité des projets de partenariat agricole public-privé en Afrique en explorant comment l’industrie s’implique avec les paysans et les communautés(6).

Alors que le français est la langue officielle du Burkina Faso, les habitants du pays parlent aussi des langues locales telles que le Jula, le Mooré, et le Gulmacema. Par ailleurs, le Burkina Faso a un taux d’alphabétisation adulte de 29%, rendant l’information écrite inutile pour une large portion de personnes. Malgré ces barrières de langues, le projet de coton Bt a réussi à informer la plupart des paysans en utilisant une approche multilingue et multimédia, ce qui incluait de traduire les documents de communication dans les langues locales, d’utiliser les journaux mais aussi des séminaires de démonstration, des publicités radio, des promotions télévisuelles et des films.

Un consentement éclairé

Il y aura, bien sûr, des moments où vous allez informer la communauté au sujet des différents aspects de votre recherche. Les communautés ne peuvent être impliquées dans toutes les décisions. Dans ces cas, la transparence est primordiale : communiquez aux participants et aux utilisateurs des résultats ce que votre projet de recherche vise et comment ils et elles vont en bénéficier. Écoutez leurs préoccupations et répondez à toutes questions.

A Soweto, en  Afrique du Sud, les petits fermiers que je voulais interviewer étaient impatients de me rencontrer, car ils pensaient que j’étais du gouvernement sud-africain et que je pouvais leur donner des graines à planter. Cependant, je dus leur expliquer que je n’avais rien à leur donner et que je n’avais aucune influence sur le gouvernement sud-africain ni sur le secteur privé. Ils étaient déçus, mais apprécièrent ma sincérité et mon honnêteté sur le fait qu’il n’y avait aucun bénéfice à tirer du projet. Ils ont participé au projet de recherche chaque année durant cinq ans.

Il est important d’obtenir un consentement éclairé bien avant le moment du démarrage de votre recherche, de sorte que les participants et participantes potentiels puissent avoir assez de temps pour analyser les buts du projet et vous contacter avec n’importe quelle question.

Chaque personne impliquée dans votre recherche devrait recevoir un document de consentement écrit dans sa langue ou au moins dans une langue qu’il ou elle comprend. Si la personne est analphabète, vous pouvez utiliser un traducteur pour faire une présentation orale du consentement éclairé ; vous écrivez ensuite dans un document que ce consentement oral a bien été donné en incluant un résumé de ce qui a été dit. Les documents et résumés du projet devront être donnés aux personnes participantes dans leur propre langue.

J’ai particulièrement apprécié le chapitre de The Nuffield Council on Bioethics sur le consentement éclairé dans leur rapport intitulé  The Ethics of research related to healthcare in developing countries (7).

La communication ne devrait pas s’arrêter avec le projet de recherche

En tant que chercheur ou chercheuse, vous devriez avoir pour objectif un dialogue continu avec la communauté, même quand l’intervention pourrait être considérée comme officiellement terminée, et ce, quelque soit votre sujet de recherche : projet d’épuration de l’eau, essai clinique ou introduction de nouvelles variétés de culture.

Ce dialogue inclut un retour sur les résultats de la recherche auprès de la communauté et l’engagement à faire connaître aux participants la science qu’ils ont aidé à générer. Dans certains cas, ce dialogue permet aussi de s’assurer que les résultats de la recherche peuvent être bénéfiques pour la communauté.

Nous l’avons constaté avec un programme sud-africain de biotechnologie agricole à propos d’une espère génétiquement modifiée de maïs. Les chercheurs qui avaient fait les essais de nouvelles variétés de graine organisèrent des visites de suivi aux paysans dans le but de répondre aux questions et de s’assurer que ces paysans utilisent les graines de la bonne manière (en utilisant l’engrais adéquat, en espaçant de manière adéquate la plantation et en faisant une rotation effective des cultures, par exemple).

Les fermiers auxquels j’ai parlé décrivirent ce suivi comme un avantage. Renforcer les pratiques agronomiques aide les fermiers à utiliser les graines pour un meilleur résultat, mais aide aussi les chercheurs à s’assurer que leur intervention est sur la bonne voie.

Donc apprendre à comprendre vos participants et s’investir avec eux est bénéfique aux deux parties. Mais bâtir la confiance est fondamental, car sa présence ou son absence déterminera l’efficacité et la viabilité de votre projet de recherche.

Aide mémoire : comment  s’impliquer avec les communautés  dans la recherche de terrain

1- Se centrer sur la confiance

2  S’impliquer dès le début du projet

2- Écouter et apprendre

3- Apprendre à connaitre ses participants

4- Utiliser les méthodes de communication adéquates

5- Obtenir un consentement éclairé

6- La communication ne devrait pas prendre fin avec la recherche

Notes

(1) Ayodele Samuel Jegede «What led to the Nigerian boycott of the polio vaccination campaign?» PLOS Medicine 2007
(2) Jerome A Singh and  Edward J Mills « The abandoned trials of pre-exposure prophylaxis for HIV: what went wrong? » PLOS Medicine 2005
(3) Obidimma Ezezika and Justin Mabeya « Improving communication in agbiotech projects: moving toward a trust- centered paradigm ». Journal of Applied Communications 2014 98(1) 38
(4) Aceme Nyika and others « Engaging diverse communities participating in clinical trials: case examples from across Africa » Malaria Journal 2010
(5) Obidimma Ezezika and others « A social audit model for agro-biotechnology initiatives in developing countries: Accounting for ethical, social, cultural, and commercialization issues » Journal of Technology Management Innovation 2009
(6) Obidimma Ezezika and others « The value of trust in biotech crop development: a case study of Bt cotton in Burkina Faso » Agriculture and Food Security 2012
(7) Nuffield Council on Bioethics, The ethics of research related to healthcare in developing countries

 

 

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