FAQ : La science ouverte et la justice cognitive

Auteurs : Florence Piron, Mauricio Da Costa Barros, Hamissou Rhissa, Thomas Hervé Mboa Nkoudou, Catherine Kotiuga, Rémy Nsengiyumva

Mai 2016

1. Qu’est-ce qu’une injustice cognitive?

Une injustice cognitive est une situation, un phénomène, une politique ou une attitude qui empêche les étudiants, étudiantes, chercheurs et chercheuses de déployer le plein potentiel de leur capacité de recherche scientifique en faveur du développement durable local de leur pays ou du bien commun de l’humanité.

Pour les chercheurs et chercheuses des Suds, le système actuel de la recherche scientifique dominé par les pays  anglo-saxons du Nord génère des injustices cognitives particulièrement puissantes et difficiles à renverser.

Le projet SOHA en a identifié neuf :

  1. Absence d’infrastructure de recherche et de fonds dédiés à la recherche scientifique
  2. Les barrières financières, légales et numériques dans l’accès aux publications scientifiques
  3. Accès difficile à Internet et faible littératie numérique des universitaires
  4. Ignorance ou mépris des savoirs locaux, socialement et culturellement pertinents
  5. Coupure entre les priorités de la recherche officielles et celles des communautés locales
  6. Le système de publication des revues du Nord est hermétique et difficile à percer (domination du positivisme)
  7. L’hégémonie de l’anglais et, dans une moindre mesure, du français (langues coloniales) comme langue de science
  8. Pédagogie de l’humiliation dans les universités
  9. Aliénation épistémique : devoir penser dans une épistémologie et des catégories de pensée post-coloniales

PEUT-ON CHANGER LA SITUATION?

Oui! Le système actuel de la recherche scientifique n’est pas une fatalité. Il est dominé par un cadre normatif qui ne se soucie pas des injustices cognitives, qui est inspiré par l’économie du savoir et le capitalisme cognitif. Mais ce n’est qu’un cadre normatif, si bien qu’il est possible de le transformer ou de le remplacer par un autre. Une autre science est possible et existe déjà aux marges de la science hégémonique : une science qui aspire au bien commun, à la justice cognitive et sociale, au respect des savoirs locaux contre la « cruauté » de l’épistémé occidentale (dixit Michel Foucault). C’est à faire croître cette science ouverte juste que travaillent l’Association science et bien commun et le projet SOHA, comme le raconte ce texte.

2.    D’où viennent les concepts de justice cognitive et de science ouverte ? Quels sont les liens entre les deux?

La justice cognitive, concept proposé par Shiv Visvanathan, est un idéal : celui de l’égalité en valeur de tous les savoirs humains, qu’ils soient ou non scientifiques, pour assurer un développement social durable des collectivités locales. La reconnaissance de cette égalité des savoirs permet de valoriser les savoirs locaux au lieu de les mépriser ou de les ignorer (ce tend à faire le cadre normatif dominant de la science, à savoir le positivisme). La justice cognitive valorise un dialogue égalitaire entre des savoirs différents, mais tous humains et considère normal que la recherche scientifique soit en harmonie avec les besoins et préoccupations de la société, qu’elle se mette au service du bien commun.

La science ouverte a différents sens.

Pour certains, elle est l’équivalent du mouvement vers le libre accès aux ressources scientifiques (publications, logiciels et données de recherche) que le numérique rend possible depuis plus de 20 ans. Elle reste compatible avec le paradigme positiviste qui domine le système actuel de la recherche scientifique.

Pour d’autres, elle propose un changement épistémologique profond en s’ouvrant à l’inclusion en son sein des savoirs locaux, des préoccupations des communautés locales et d’une pluralité de langues, de manières de produire de la connaissance et de lieux de diffusion. Cette forme de science ouverte puise sa justification philosophique dans la notion de justice cognitive. Nous l’appelons la science ouverte juste.

La science ouverte juste ajoute à la justice cognitive un intérêt pour les dimensions pratiques de ce combat, voyant dans les technologies numériques une possibilité inédite de faciliter l’accès de tous à tous les savoirs, scientifiques ou non. En ce sens, la science ouverte juste complète la théorie de la justice cognitive. Son souci concret pour l’accessibilité des savoirs nourrit son engagement dans le mouvement du libre accès.

3. Existe-t-il différentes conceptions de la science ouverte? Quelle est la différence avec la science fermée?

La science ouverte juste est une manière de pratiquer la science qui refuse le mépris pour les savoirs non-scientifiques et cherche au contraire à les inclure et même à les développer. La science ouverte juste est donc un moyen d’action vers plus de justice cognitive et souhaite contribuer à l’épanouissement de sociétés des savoirs.

Elle se distingue d’une autre conception qui se concentre sur l’accessibilité des publications scientifiques grâce aux technologies numériques (le libre accès). Dans ce cas, l’ouverture ne vise pas particulièrement les savoirs locaux, mais plutôt les barrières financières et légales qui empêchent les internautes d’avoir accès aux résultats scientifiques les plus récents.

Cette science ouverte numérique, tout comme la science ouverte juste, s’opposent donc à la science « fermée » qui, non seulement monnaye l’accès aux publications scientifiques, mais ne se pratique qu’en anglais dans la plus grande indifférence aux enjeux locaux. Cette science fermée est un produit de l’économie du savoir qui considère un article scientifique comme une marchandise. L’industrie de l’édition scientifique, très lucrative, ne se préoccupe absolument pas de l’accès à la science dans les pays des Suds, ni des enjeux locaux.

4.    Quels sont les fondements de la science ouverte et de la justice cognitive?

Voici les six fondements de la justice cognitive :

  • la valorisation des savoirs locaux (la décolonisation épistémologique)
  • le libre accès numérique aux savoirs scientifiques et non-scientifiques
  • la prise en compte des savoirs des femmes, des jeunes et des groupes marginalisés
  • l’empowerment des chercheurs et chercheuses du Sud et de leurs savoirs
  • la prise en compte des préoccupations locales dans la recherche universitaire
  • la critique du positivisme hégémonique et de l’économie du savoir

Voici les sept fondements de la science ouverte juste :

  • l’aspiration à la justice cognitive
  • le libre accès numérique aux publications et aux données scientifiques
  • les licences Creative Commons
  • les logiciels libres
  • le travail collaboratif
  • l’implication des non-scientifiques dans la recherche
  • l’internationalisation des réseaux, des contacts et des références scientifiques

5. Pourquoi aspirer à la justice cognitive? À quoi peut-elle servir dans les pays du Sud?

Les populations locales des pays du Sud ont du mal à faire valoir leur conception du développement, leurs préoccupations et leurs valeurs face aux pays du Nord. Ces derniers, qui dominent l’économie mondiale et les organismes internationaux, s’appuient sur l’expertise scientifique qu’ils produisent dans leurs universités pour imposer leur vision du développement.

Pour résister à cette expertise du Nord et faire valoir les savoirs locaux, il faut construire une contre-expertise dans les pays du Sud. Cela signifie qu’il faut augmenter la quantité et la visibilité de la science qui se fait dans les universités du Sud, mais aussi l’amener à se détacher du cadre normatif issu des pays du Nord et à s’ouvrir davantage aux savoirs locaux dans lesquels s’expriment les préoccupations locales. Autrement dit, la justice cognitive suscite une science alternative qui valorise les savoirs locaux et qui pourrait contrebalancer les prétentions à l’universel de la science issue des pays du Nord. Les chercheurs du Sud ne deviennent pas uniquement des consommateurs des savoirs mais des contributeurs aux savoirs mondiaux.

6. Quelles sont les connotations politiques de la justice cognitive?

La justice cognitive n’a pas de lien avec le système de justice d’un pays. Elle exprime une volonté de justice sociale appliquée au domaine du savoir. Elle veut lutter contre l’ignorance et le mépris des savoirs locaux, des savoirs des personnes et des collectivités marginalisées par la fracture entre le Nord et le Sud. Elle veut l’égalité des savoirs au service du bien commun.

La justice cognitive s’inscrit dans le tournant critique, postmoderne et postcolonial de la recherche scientifique.

7. La science ouverte juste est-elle porteuse d’un projet politique, c’est-à-dire d’une vision de la citoyenneté et du vivre-ensemble?

La science ouverte juste vise la démocratisation des sciences en incitant les non-scientifiques à y participer ou à y avoir accès. Elle est une forme d’apprentissage de la démocratie participative. Sa dimension critique du positivisme post-colonial peut aider ses praticiens à mieux comprendre le fonctionnement des rapports de pouvoir dans une société en général. Elle est une science « citoyenne » dans la mesure où elle aspire à être « pour le peuple et avec le peuple ».

8. Quelle est la différence entre les savoirs locaux, traditionnels, autochtones, endogènes, indigènes?

Les savoirs locaux sont des savoirs qui ont un sens et une pertinence dans une réalité historique et géographique délimitée. Ils peuvent être expérientiels, c’est-à-dire liés à une expérience collective particulière (changement climatique, catastrophe, migration, conflits, etc.) ou patrimoniaux, liés à l’histoire.

Les savoirs traditionnels sont les savoirs ancestraux, enracinés dans la mémoire collective et les habitudes d’un peuple dans une région.

Les savoirs autochtones sont crées et pratiqués dans un territoire déterminé par le peuple originaire de cet espace.

Les savoirs indigènes sont autochtones par rapport au territoire ou ils sont apparus. Ils sont plus spécifiquement liés aux peuples classifiés comme indigènes, comme les Amérindiens, par exemple.

Les savoirs sont endogènes quand ils sont créés dans un lieu sans influence extérieure.

Les savoirs traditionnels peuvent aussi être autochtones, indigènes et/ou endogènes, mais pas nécessairement.

Les savoirs autochtones peuvent assumer une identité traditionnelle, indigène et endogène. Cependant, les savoirs autochtones peuvent être aussi récents, liés à des groupes humaines non-indigènes (des migrants) et pas nécessairement endogènes, car ils peuvent être influencés par des caractéristiques externes.

Les savoirs endogènes peuvent ou non être classifiés comme traditionnels et/ou indigènes, mais sont certainement autochtones.

9. Certains savoirs traditionnels sont-ils déjà utilisés en science?

Oui, plusieurs savoirs locaux sont utilisés en science, notamment en biologie, en médecine et en pharmacopée, pour faire des médicaments ou d’autres produits commercialisables. Toutefois, dans une perspective qui transcende la production de profits, les savoirs locaux peuvent être utilisés par divers domaines, incluant les sciences humaines et sociales. Pensons au rôle crucial des informateurs en anthropologie ou en géographie. Les savoirs locaux peuvent aussi nourrir la conception de politiques publiques dans divers domaines.

10. Qui sont les détenteurs des savoirs locaux?

à venir

11. Comment la science dominante considère-t-elle les savoirs locaux?

La coopération est toujours possible, mais le mépris dérivé de la méconnaissance et du sentiment de supériorité des scientifiques s’inscrivant dans le cadre normatif dominant sont des barrières importantes à l’établissement d’un véritable dialogue ou même de véritables partenariats.

Dans plusieurs cas, on assiste plutôt à l’appropriation des savoirs locaux par des chercheurs du Nord dans le but d’en profiter économiquement, au détriment de l’importance ancestrale, pratique ou symbolique de ces savoirs.

12. Quel effet la science ouverte peut-elle avoir sur les savoirs locaux?

La science ouverte vise à respecter tous les savoirs et à collaborer avec tout le monde dans la production de la connaissance. Elle peut donc contribuer à protéger les savoirs locaux, notamment par l’archivage numérique dans des encyclopédies en ligne. En rendant plus accessibles en ligne les savoirs locaux, elle facilite leur consultation sur le web et donc leur inclusion dans les travaux scientifiques.

Mais en rendant ainsi accessibles tous les savoirs, la science ouverte entraîne des questions sur les effets sociaux de cette nouvelle transparence des savoirs. Est-il possible de donner accès à tous à tous les savoirs, notamment locaux, sans les dénaturer? Comment universaliser les savoirs locaux sans les écraser dans des catégories uniformes, standardisées?

13. Valoriser les savoirs locaux, est-ce rejeter la science moderne?

Non, pas du tout. C’est rejeter une certaine conception de la science, le positivisme, qui a construit son prestige et son autorité sur le rejet des savoirs locaux et sur l’élitisme. Valoriser les savoirs locaux, c’est imaginer une autre science, moins uniforme et insipide, plus variée, plurielle, imaginative, proche des contextes locaux, culturellement riche.

L’élite scientifique des pays du Nord pratique de plus en plus la science ouverte numérique, c’est-à-dire le libre accès aux ressources scientifiques. Elle ne le fait pas nécessairement dans un but de justice cognitive, mais cela peut avoir cet effet.

14. Qu’est-ce que le libre accès aux ressources scientifiques? D’où vient-il? Quel est son statut dans la science actuelle?

Le libre accès aux ressources scientifiques est tout d’abord la mise en libre accès sur Internet des données de recherche et des publications scientifiques de manière à ce que toute personne, où qu’elle vive, qu’elle soit riche ou pauvre, ait accès librement et gratuitement à une œuvre scientifique. C’est aux auteurs de ces publications, les chercheurs et chercheuses, de faire les choix de lieu et de licence de publication qui permettront cette mise en libre accès. Hélas, par ignorance ou incompétence, peu nombreux sont encore les chercheurs du Nord et du Sud qui y pensent, qui assument cette responsabilité.

Les chercheurs et chercheuses dont les travaux sont en libre accès sur le web sont bien plus cités et utilisés que ceux dont les articles sont inaccessibles à cause d’une barrière financière.

De plus en plus d’État imposent une politique de livre accès à leurs chercheurs au nom du droit collectif à la science, mentionné dans la Déclaration universelle des droits de la personne de 1948 et réitéré ensuite.

15. Le libre accès est-il un mouvement d’idées spécifique aux sociétés des pays du Nord? Quels seraient les avantages du libre accès pour un pays du Sud ? Quelles sont les conditions pour que ces avantages se matérialisent?

La révolution numérique a un immense avantage : elle efface les ancrages géographiques. Ce qui est sur le web est accessible où qu’on soit sur la planète, pourvu qu’on ait un accès à Internet. Si des pays du Nord comme le Canada, la France et la Grande-Bretagne imposent à leurs chercheurs et chercheuses de rendre accessibles en libre accès leurs publications (qui ont été financées par des fonds publics), alors tous les internautes en bénéficieront et non pas seulement les citoyens de ces pays.

Pour les universités du Sud dont les bibliothèques sont peu fournies et contiennent peu ou pas de documents récents ou bien à jour, le web scientifique libre, c’est-à-dire les plateformes de publications et de données en libre accès peuvent devenir une puissante alternative, à condition de savoir l’exploiter. La découverte des ressourcs en libre accès doit donc s’accompagner d’une formation aux compétences numériques de base chez les universitaires des pays du Sud.

16. Quels sont les avantages et les inconvénients du libre accès pour les chercheurs et chercheuses? Pourquoi certains en ont-ils peur? Pourquoi d’autres le rejettent?

Les recherches sur le libre accès montrent que les travaux accessibles sont plus cités et utilisés. Les avantages du libre accès pour la diffusion des connaissances sont indéniables.

Toutefois, certains chercheurs rejettent la science ouverte parce qu’elle semble remettre en cause le système (positiviste) dans lequel ils ont été formés et leurs habitudes et représentations. Ils craignent même que la science ouverte nuise au prestige lié à l’université qui rejaillit sur leur statut social et nourrit leur capital symbolique. Ils pensent que c’est l’avenir du métier du chercheur qui serait fragilisé par la science ouverte, surtout dans les pays du Sud où être chercheur signifie appartenir à la classe des « privilégiés du système ». Ces chercheurs veulent que l’université soit un espace fermé au plus grand nombre et ouvert seulement à ceux qui sont formatés dans le système : les docteurs. Collaborer avec les non-scientifiques remet en cause, selon eux, la crédibilité de la science et le statut de l’expert. Ils cherchent coûte que coûte à légitimer leur statut et leur savoir en adoptant des pratiques et des rapports les séparant au maximum des autres membres de la société (dont un jargon ou l’usage du français).

En fait, ces craintes ne sont pas fondées, ne serait-ce que parce qu’il existe une science ouverte très positiviste, donc le but est d’accroître la productivité des chercheurs.

17. Quels sont les enjeux économiques du libre accès et de la science ouverte au Nord et au Sud? Faut-il payer pour être publié en libre accès?

Dans le monde scientifique au Nord, à la différence du monde de la littérature ou de celui du journalisme, les scientifiques ne sont jamais payés pour leurs articles scientifiques et ne reçoivent aucune partie des bénéfices de leur éditeur. Cela fait partie de l’éthique scientifique que de refuser d’être payé, afin d’éviter les pressions, les biais, les a priori.

Toutefois, une partie des revues scientifiques à but lucratif qui veulent faire du libre accès ont décidé de se financer en faisant payer les auteurs (puisqu’elles ne veulent plus faire payer les auteurs). Une nouvelle barrière apparaît alors, surtout pour les chercheurs et chercheuses du Sud qui n’ont pas les moyens de payer ces sommes parfois considérables que sont les « frais de publication aux auteurs » (APC en anglais). Il est important de résister à cette tendance et de trouver d’autres modèles budgétaires, notamment des subventions à la publication offertes par les universités.

Dans le cas des auteurs de livres, la situation est plus floue, car la distribution des bénéfices dépend vraiment des maisons d’édition.

18. Pourquoi parler de libre accès et de science ouverte dans des universités où l’accès au web est difficile et coûteux?

Le fait que l’accès au web soit difficile et coûteux pour de nombreux étudiants et étudiantes du Sud est un problème majeur. Toutefois, ce constat n’exige pas pour autant de ne pas avancer, avec ceux et celles qui le peuvent, dans l’utilisation du Web au service de la justice cognitive. Lorsque le Web sera plus accessible, les leaders de la science ouverte qui auront été formés pourront tout de suite intervenir pour lancer des projets, etc.

Plusieurs indices montrent que la difficulté d’accès au web est parfois atténuée par des ententes avec Facebook, des forfaits 3G, l’utilisation de téléphones mobiles, etc. Le succès du projet SOHA montre que les étudiants et étudiantes découvrent avec délices le potentiel scientifique du web et de Facebook.

Même si l’accès à Internet est coûteux et n’est pas aussi efficace que dans les pays du Nord, c’est un droit des jeunes d’accéder à Internet et les gouvernements doivent être incités à rendre l’internet plus abordable.

19. Pourquoi travailler sur la science ouverte et la justice cognitive dans des pays marqués par un faible taux de scolarisation et d’alphabétisation? La science ouverte est-elle réservée à une élite des pays du Sud?

La science ouverte juste ne constitue pas une discrimination à l’égard des personnes qui ne savent pas lire ni écrire.  Elle encourage plutôt la participation de tout le monde, que ce soit dans l’élaboration des projets de recherche ou dans la pratique de la recherche. Par exemple, en offrant les possibilités de débattre sur les lieux publics des problèmes, les recherches deviendront plus adaptées aux besoins réels de la population.

La science ouverte est une science d’ensemble. Tout le monde est impliqué, est mobilisé selon ses possibilités et ses compétences à pouvoir amener à une meilleure compréhension des besoins de la société en recherche et comment cela peut être plus facile, crédible et intégrée. Donc la science ouverte juste vise plutôt la participation de tout le monde au développement durable et locale, car ce sont surtout les initiatives locales et endogènes qui engendre un meilleur bien être de la population.

En s’ouvrant à différents modes de diffusion du savoir, tels que la vidéo et les documents plurilingues, la science ouverte juste peut rejoindre beaucoup plus de personnes qu’en se limitant à des textes en anglais ou en français.

20. La science ouverte juste va-t-elle jusqu’à s’ouvrir aux langues nationales ou reste-t-elle limitée aux langues dominantes en science (anglais, français, espagnol)?

La science ouverte juste est une science inclusive qui met en avant le libre accès à la science et lutte contre l’injustice cognitive. Pour cela, elle favorise explicitement le plurilinguisme dans la publication et l’édition et recommande aux chercheurs et chercheuses de publier à la fois dans une langue nationale écrite, accessible aux populations dont il est question dans la recherche, et une langue de contact pour internationaliser l’expérience de recherche. Les publications dans les langues nationales permettent une meilleure diffusion, lisibilité et adaptabilité de la production scientifique dans les communautés locales.

21. Quelles compétences numériques sont nécessaires pour profiter des archives scientifiques numériques ouvertes?

Peu de compétences complexes sont nécessaires :

  • savoir se créer un compte sur une plateforme et comprendre les systèmes de validation des identifiants du compte par mail ou par CAPTACHA
  • savoir consulter un site web à l’aide d’un moteur de recherche
  • savoir utiliser la méthode présentée dans la page http://www.projetsoha.org/?page_id=1040
  • savoir télécharger un document d’intérêt et le sauvegarder dans un ordinateur ou votre clé USB
  • lire en ligne peut être un avantage si on sait comment prendre des notes

22. La science ouverte juste est-elle une science à rabais, uniquement destinée aux pays du Sud?

Cette question reflète clairement le point de vue positiviste selon lequel la science se définit précisément par son rejet des savoirs locaux, non scientifiques. De ce point de vue élitiste, une science qui s’ouvre à tout ce qui est non-scientifique court inévitablement le risque d’être de moindre qualité.

En revanche, pour un point de vue qui valorise la justice cognitive, la science ouverte, plurielle et dialogique est de bien meilleure qualité, ne serait-ce que parce qu’elle conjugue des points de vue, des interprétations, des savoirs qui ne peuvent qu’améliorer la compréhension d’un phénomène. De même que le bilinguisme ou le plurilinguisme est un avantage pour un individu, de même une science ouverte à la pluralité des savoirs est un atout pour un pays.

Dans les pays du Nord, la science ouverte juste est pratiquée par des nombreux chercheurs et chercheuses, notamment en sciences sociales et humaines, qui ne veulent plus travailler dans le cadre limitatif du paradigme positiviste. Ils ont créé de revues, des blogs, des séminaires pour faire de la recherche selon les valeurs qui leur conviennent le mieux.

23. En quoi la science ouverte juste peut-elle être un outil de développement durable?

  • Elle valorise les savoirs locaux, incluant, dans les pays du Sud, les compétences des chercheurs et chercheuses qui pourront alors chercher avec confiance et fierté des innovations ou des solutions pertinentes aux défis locaux.
  • Elle stimule la responsabilité sociale des chercheurs envers leur région et leur communauté
  • Elle crée des liens de partenariat entre une université et la société environnante
  • Elle stimule l’innovation
  • Elle améliore la qualité de la formation universitaire, notamment l’accès à une documentation scientifique et technique de qualité

24. Comment la science ouverte pourrait-elle s’institutionnaliser, se faire reconnaître par l’université, l’État et les comités responsables des promotions professionnelles?

Dans les pays du Nord, c’est exactement ce qui est en train de se passer. La France, la Grande-Bretagne, le Canada, l’Allemagne et les Etats-Unis imposent à leurs chercheurs et chercheuses financés par des subventions publiques de rendre disponibles en libre accès tous leurs articles. Ces politiques de libre accès ont un effet puissant sur les chercheurs et chercheurses qui se sentent obligés de s’y conformer. La masse de textes en libre accès ne pourra que croître vigoureusement dans les prochaines années.

Comment convaincre les universités du Sud de faire le même virage? En leur montrant que la plus grande visibilité et une meilleure accessibilité des travaux scientifiques du Sud sur le web permettrait de mieux faire valoir les préoccupations locales, les besoins locaux, mais aussi les compétences locales en recherche sur la scène internationale. Mais c’est un long combat…

25. La qualité de la science faite de manière ouverte est-elle moindre que celle de la science fermée?

Non, au contraire, elle est de meilleure qualité, car les textes en libre accès sont plus exposés, discutés, débattus, cités, développés et analysés que les textes fermés qui ne sont lus que par quelques personnes issus du même réseau. Le système d’évaluation des articles par les pairs est utilisé par les revues ouvertes et les revues fermées.

26. Comment intégrer la science ouverte et la justice cognitive dans la pédagogie universitaire où domine le positivisme?

Cette intégration doit commencer par nous-mêmes. En tant qu’individus, nous devons adopter les bonnes pratiques de la science ouverte juste.

C’est par notre action commune que nous amènerons l’État à changer s’il est réticent;

L’État peut choisir d’adopter des politiques scientifiques favorables à la science ouverte et accélérer la création d’espaces de rencontres entre chercheurs et citoyens, à l’instar des boutiques de sciences, des espaces lab, des activités de vulgarisation scientifique, etc.

27. Comment publier et diffuser en libre accès?

Avant de publier un article dans une revue, il faut prendre connaissance de sa politique éditoriale et choisir une revue qui ou bien est elle-même en libre accès (il en existe près de 11 000 en 2016) ou bien qui permet la mise en libre accès immédiate de vos travaux dans une archive ouverte. Il est aussi très important d’avoir le réflexe d’utiliser une licence libre pour son texte, à l’instar des licences Creative Commons.

Ensuite, le chercheur ou la chercheuse doit avoir le réflexe d’auto-archiver ses travaux dans une archive ouverte (voir le répertoire de ces archives ouvertes, OpenDOARE).

Il est aussi important que le chercheur ou la chercheuse puisse diffuser ses travaux gratuitement dans les réseaux sociaux privés auxquels il ou elle appartient (ResearchGate, Academia, LinkedIn).

28. Comment bien utiliser les ressources du web scientifique en libre accès?

Il existe des méthodes précises de recherche documentaire dans le web scientifique libre (en libre accès). En voici une décrite sur le site du projet SOHA : http://www.projetsoha.org/?page_id=1040

29. Comment intégrer des non-universitaires aux recherches scientifiques? Comment intégrer les acteurs du monde professionnel aux activités de recherches scientifiques?

Il existe plusieurs moyens, méthodes et dispositifs, de plus en plus utilisés :

  • Les sciences citoyennes et participatives
  • La recherche-action
  • L’intégration de non-scientifiques dans des processus de prise de décisions qui concernent les politiques scientifiques
  • Les boutiques de sciences

30. Le libre accès augmente-t-il le risque de plagiat?

Non, pas du tout. Car quand une chercheuse publie un texte en libre accès, ce texte est automatiquement daté et associé à son nom et peut même être accompagné d’un numéro d’identification unique. Tout plagieur aura beaucoup de mal à se défendre si son texte est postérieur à celui de la chercheuse.

De plus, si un encadreur soupçonne un plagiat chez un étudiant, il lui est très facile de le vérifier si le texte plagié est en libre accès. Une simple recherche dans Google lui permettra de confirmer ou d’infirmer l’origine du passage suspicieux.

31. Quel est le rapport entre la science ouverte et le système de la propriété intellectuelle ? Peut-elle le faire évoluer? Un État peut-il à la fois promouvoir la science ouverte et la maximisation des revenus de la science protégés par le système des brevets et des licences?

À venir

32. Dans un monde globalisé où la science en libre accès d’un pays va profiter aux économies du monde entier, un État n’a-t-il pas intérêt à seulement profiter de la science faite et financée par d’autres États, sans investir lui-même?

À venir

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