Le paradoxe d’une science dite « universelle »

photo HamissouAuteur : Hamissou Rhissa Achaffert, Niger

Hamissou est sociologue au département de Sociologie et d’Anthropologie de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université Abdou Moumouni de Niamey. Il poursuit ses études en Master II Recherche, option Sociologie de l’éducation. Pour le joindre : Hamissou_r@hotmail.fr

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La science telle qu’elle est enseignée et pratiquée dans les universités du Nord et du Sud est-elle vraiment universelle ? C’est la question que je pose dans ce billet.

De l’universalité à la fermeture

La science normative c’est-à-dire la science qui obéit aux normes en vigueur du champ scientifique, se définit comme science universelle. Or, les conditions de la production du savoir exigent l’utilisation d’articles, d’ouvrages, et d’outils méthodologiques que l’on est obligé d’utiliser dans un paradigme précis. Pour produire un savoir utile il faut d’abord connaitre la littérature existante dans le domaine et pour cela il faut que le chercheur fasse des recherches bibliographiques. Par conséquent, ces articles, ouvrages et outils devraient être accessibles à tous, si la science était vraiment universelle.

Mais il suffit qu’un chercheur d’un pays du Sud essaie d’accéder à la bibliothèque d’une université du Nord pour voir les limites de cette image. Très souvent, le chercheur sera bloqué car non seulement l’article est payant, mais il faut avoir une carte de crédit pour pouvoir l’acheter sur internet. Les cartes de crédit étant bien rares dans nos pays du sud, comment pourrait-on en bénéficier ? En plus, même si le chercheur veut bien se procurer une carte de crédit à la BIA (Banque Internationale pour l’Afrique), il lui faut, par exemple ici au Niger, d’abord ouvrir un compte à dix mille francs CFA (10.000) avec obligation de recharger vingt mille francs CFA (20.000) pour acheter un article qui coûte par exemple 6 Euros. Pour les fonctionnaires, on peut supposer que c’est possible, mais pour les étudiants et le reste de la population, cela est pratiquement impossible. De plus, il existe des documents qui ne sont accessibles que sur abonnement à la bibliothèque numérique. Si les connaissances accumulées dans un domaine lui sont inaccessibles, comment pourra-t-il bien faire sa recension des écrits ? Et si la recension des écrits est mal faite, les mêmes erreurs risquent de revenir et par la suite le problème sera mal compris et analysé et il sera fort improbable que le cherche trouve la bonne solution.

Allons plus loin. Comment le contenu d’une science dont la production est réservée aux personnes qui ont un revenu important pourrait-il être utile pour la population qui ne comprend même pas la langue dans laquelle elle est écrite? Une science universelle devrait être une science citoyenne, une science « sociale », qui est utile pour toute la population, c’est-à-dire la communauté des chercheurs, les étudiants, les non-scientifiques aussi. Le paradoxe des universités est très clair. Une université est censée être une institution de recherche au service d’un pays, dirigé par des personnes qui veulent résoudre des problèmes, les problèmes particuliers de la société. Mais malheureusement, ces personnes comprennent mal comment faire la médiation entre la science et la société.

De la prétention à l’universalité d’une science, on retient plutôt une science fermée, inefficace et sans effet immédiat parce que le produit final reste méconnu par le reste de la population. Les pratiques actuelles de la science sont donc plus restrictives qu’universelles, plus fermées qu’universelles. Restrictives dans le sens où la science produite est publiée par les éditeurs des revues scientifiques commerciales qui prennent en otage la connaissance sur le web et en bloquent l’accès par des murs payants. Les chercheurs faisant toujours confiance aux éditeurs quant à la publication et la diffusion de leurs travaux, ceux-ci en font leur patrimoine.

De l’ouverture à l’accessibilité

La science universelle, c’est plutôt la science ouverte, c’est-à-dire une science qui met en libre accès ses productions et qui élabore des stratégies pour que les produits de la science soit accessibles et utilisés par la communauté scientifique, les « non scientifiques » et les décideurs. La science ouverte prend en compte les caractéristiques socioéconomiques et linguistiques des populations pour répondre à leurs besoins. C’est pourquoi elle met en libre accès ses données et travaux de recherche (les données peuvent être réutilisées et les résultats téléchargés gratuitement) et encourage la publication dans les langues nationales. De cette manière, les inégalités sociales ou les caractéristiques sociales ne constituent pas un blocage pour accéder à la connaissance et à son utilisation.

Dans les pratiques de la science fermée dite universelle, on retrouve des éléments de blocage tels que la barrière financière et l’écriture dans des langues étrangères (avec obligation de mettre quelques lignes en anglais). Cela constitue une injustice cognitive ! C’est ce que la science ouverte combat avec des moyens efficace comme le libre accès, la promotion des licences ouvertes et logiciels libres et gratuits, la promotion des productions locales qui sont invisibles rapport à celles du nord l’écriture numérique collaborative mais aussi le rapprochement entre la science et la société, le concours des scientifiques et des non scientifiques à l’élaboration des projets de recherche pour une science citoyenne et participative. Tous ces éléments constituent les piliers fondamentaux de la science ouverte.

Les pratiques de la science ouverte permettent aussi à la science elle-même d’évoluer – puisque la science s’appuie sur elle-même pour produire la connaissance – en ce sens qu’elle permet à tous d’être non seulement impliqués dans cette production, mais aussi d’être à jour par rapport aux orientations de la recherche. C’est ce qui permet à la communauté des producteurs de la science de basculer d’un paradigme à un autre, d’une thématique à une autre en fonction des besoins de la société. C’est ça, la science citoyenne et participative : une science qui se préoccupe des problèmes qui traversent la société du chercheur.

La connaissance produite dans les universités et dans les laboratoires de recherche ne peut être utile qu’en adoptant les pratiques et les valeurs de la science ouverte tels le libre accès, le travail collaboratif, la relation science société, la promotion des logiciels et licences ouvertes.

Les principales victimes de la science fermée universelle, ce sont les Africains et les Haïtiens. Non seulement les problèmes sont nombreux mais aussi les connaissances produites au niveau local et produites ailleurs leur sont sont inaccessibles et donc pas opérationnelles. L’accès à la science augmente le pouvoir d’agir du politique et permet de lutter contre l’injustice dont l’écrasante majorité de la population est victime. Cette injustice prend une autre forme lorsque l’on analyse les productions scientifiques sur l’Afrique par exemple.

En somme, les pratiques de la science normative restent très restrictives et maintiennent les inégalités sociales. Pour que la science soit utile à la société qui la produit, il faut qu’elle soit accessible à tous, peu importe le moyen, et que tout le monde participe à sa production. Il faut donc aussi que les productions et les connaissances locales soient valorisées.

Conclusion

La science se définit couramment par l’universalité de son contenu et de ses méthodes. Ce premier critère est essentiel dans sa définition théorique. Mais en réalité, lorsque l’on regarde de plus près comment fonctionne la science normative et surtout comment elle est diffusée, on peut facilement remettre en cause ce critère et plutôt l’attribuer à la science ouverte qui est bien plus universelle.

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